Extraits
Dans une perspective historique, les soulèvements que certains pays arabes ont connus il y a dix ans déjà représentent quelque chose d’exceptionnel. L’ampleur des mobilisations sociales, la propagation rapide d’un pays à l’autre et la détermination dans la volonté de « changer » ont constitué des paramètres inédits. Malgré la chute de certains régimes, la liberté et la dignité tant scandées par les manifestants n’ont, dans la plupart des cas, pas été au rendez-vous. Comme dans toutes les « révolutions » de l’Histoire, certaines ont abouti à des guerres civiles, d’autres à de nouveaux régimes autoritaires, plus liberticides que les précédents, créant une certaine amertume et projetant l’image d’un « automne arabe », pour ne pas parler d’« hiver islamiste ». Peu de « liberté » acquise donc, mais qu’en est-il de la « dignité » ? Cette quête renvoie à la situation socio-économique qui a créé les conditions des soulèvements, bien au-delà de la demande de changements politiques. Et qu’en est-il aujourd’hui ? Les graines semées par ces révoltes pourraient-elles germer, comme en Europe au XIXe siècle, et permettre, un jour ou l’autre, de réelles avancées sociales ? Faut-il encore que la situation économique ainsi que l’économie politique aient subi, à travers ces chocs, des transformations profondes qui ouvrent le chemin vers les progrès sociaux et le développement. Le hasard de l’histoire fait que ce dixième anniversaire du « printemps » coïncide avec la crise de Covid-19, dont les effets économiques et sociaux renforcent paradoxalement une nostalgie des « anciens régimes ». Mais la jarre de Pandore a bien été cassée, et l’espoir libéré.
Pas de printemps pour les jeunes
Dix ans plus tard, l’ image sociale frappante est que la famille de Mohamed Bouazizi, dont le sacrifice a tout déclenché en Tunisie, a fini par émigrer au Canada[1], tandis que la localité de Sidi Bouzid boude les célébrations de son « martyr » dans la mesure où sa situation économique et sociale est aujourd’hui plus détériorée encore. En dépit de la « démocratie », de jeunes manifestants continuent d’affronter la police…….
Et point de salut au-delà de Mare Nostrum
…. Dix ans après le « printemps », les flux migratoires et les drames en mer – 1 à 2 % du flux – se poursuivent. La moitié des arrivants en Europe proviennent des pays de l’Afrique du Nord et sont majoritairement Tunisiens, Algériens et Marocains[2], auxquels s’ajoutent des Syriens et des Irakiens, essentiellement arrivés par voie terrestre depuis la Turquie….
Ces migrations jouent le rôle, essentiel, d’ultime filet de protection sociale….
L’hiver des autres
Le « printemps » a débouché sur des guerres civiles par procuration en Libye, en Syrie et au Yémen… les infrastructures, les services publics, en fait les Etats eux-mêmes et leurs modèles de développement et d’action sociale ont été mis à une rude épreuve….
La région la plus inégalitaire au monde
… Le versement de fonds par les pays du Golfe, soit par les États eux-mêmes soit par les élites rentières, aux autres pays arabes en transition ou en conflit, souvent en armes à des factions, aurait pourtant suffi à assurer à ces derniers un développement sans précédent. À défaut, des alliances nouvelles avec les puissances émergentes se sont consolidées, la Turquie pour les uns, Israël pour les autres. L’intégration économique, sociale ou politique arabe appartient-elle désormais à l’histoire ?
L’envolée de la dette publique
… tous les pays arabes sont-ils désormais considérés comme instables économiquement et politiquement…
Le dixième anniversaire et la crise du Covid-19
… avec la presque absence de mesures de compensation de pertes de revenus, des millions de personnes sont jetées dans la pauvreté…
Le printemps finira par arriver…
… 2011 avait libéré quelque chose de fondamental. Un espoir qui s’est propagé au-delà des pays arabes eux-mêmes et que les horreurs qui ont suivi n’ont pas tué…