Samir AITA: sur le livre de Steffen HERTOG, Economiste: Prince, Brokers and Bureaucrats: Oil and State in Saudi Arabia

Animation par Samir AITA, président du Cercle des Economistes Arabes, et Bassem SNAIJE (économiste) , le 13 avril à l’hôtel Prince de Galles / salle Trianon  à l’occasion de la sortie du livre de Steffen HERTOG, Economiste: Prince, Brokers and Bureaucrats: Oil and State in Saudi Arabia. Rencontre organisée à l’initiative de la Chaire Moyen-Orient Méditerranée et du Kuwait Program de Sciences-Po. 

 

Commentaires sur le livre de Steffen Hertog: Princes, Brokers and Bureaucrats, Oil and State in Saudi Arabia, Cornell University Press, 2010, par Samir Aita

C’est un livre très intéressant. Mais, peut-être pas pour les explications données dans son introduction théorique.

Le titre nous invite à examiner les relations entre les princes, « le pouvoir de la famille royale », les brokers, « ces hommes d’affaire intermédiaire », et les bureaucrates « les fonctionnaires, qualifiés péjorativement ici », ces trois catégories sociales. Et effectivement les chapitres intéressants décrivent cette relation :

Mais le livre insiste alourdissant l’analyse sur les théories de l’Etat rentier, théories très discutables, au lieu de tirer de l’observation des phénomènes des conclusions plus intéressantes.

Pour simplifier, lorsque ce livre parle d’Etat, d’Etat rentier, et de réformes… et il décrit 3 processus de réforme pour soutenir sa thèse principale, à savoir que « c’est la non-coordination entre les bureaucraties qui peut faire échouer les réformes »… c’est justement les notions d’Etat, de rente et de réforme qui méritaient en soi une discussion plus approfondie.

On comprend très vite en lisant le livre que l’auteur n’aime pas la bureaucratie. Mais ça veut dire quoi en fait ? Qu’est-ce que l’Etat dans un pays comme l’Arabie Saoudite. Est-ce que c’est la famille royale, qui comme il le dit, s’accapare pour des raisons qui sont les siennes les positions dominantes dans les institutions,  ou bien l’Etat est justement les « bureaucrates » c’est-à-dire les institutions elles-mêmes. Le discours blâme toujours les « bureaucrates », tout en disant qu’ils n’ont jamais eu une indépendance de décision, plutôt que le pouvoir qui les contrôle. Le livre n’attaque que par le biais de la construction historique comment les institutions ont été formées, mais jamais comment ces institutions peuvent-elle (et on dû en partie) se séparer de l’Etat… pour former un Etat moderne où ce sont les institutions qui priment, quitte à ce qu’elle deviennent un jour démocratique.

On comprend aussi très vite que ce que l’auteur appelle « rente » est presqu’exclusivement le pétrole. Mais, il ne discute pas comment cette rente pervertit l’Etat ; ce qui est une évidence en Arabie Saoudite, quand on sait que c’est la manne directe des princes qui « achète » la clientèle à l’intérieur à l’intérieur de l’Etat et justement le pervertit de son rôle de « REDISTRIBUTION » et de « JUGE »,

Donc non seulement le livre ne tire pas toutes les conséquences de cette rente sur la relation entre pouvoir princier et Etat, mais aussi il ne considère pas toutes les autres formes de « rente »… Et elles sont nombreuses.

Enfin, la catégorie « réforme » est déifiée en soi… sans qu’on sache vraiment qu’est-ce qu’elle veut dire en réalité… comment si elle ne constituait pas elle aussi une catégorie objet de luttes et de re-distribution…

Je vais expliciter tout de suite mon propos en prenant l’exemple qui me tient le plus au cœur, étant entre autre spécialiste du droit du travail. C’est l’exemple de la Saudisation des emplois.

L’auteur nous explicite pendant un long chapitre l’échec de la politique de saudisation, avec des va-et-vient pendant plus de tois décennies. Mais il met cet échec sur le dos de cette pauvre « bureaucratie ». Pourtant, il nous explicite brillamment les luttes entre deux Ministères, chacun dominés par un prince, avec son propre agenda à l’intérieur de la famille royale. Et comment même un ministre « civil servant » technocrate, appuyé par le roi lui-même, n’a pu en venir à bout.

Mais toute cette explication se passe sans mentionner que l’exploitation de travailleurs étrangers, dont les bras sont liés par le système des sponsors, et donc fragilisés dans un statut sans droits reconnus, ne constitue pas justement une… RENTE. Et vu le nombre de ces travailleurs étrangers une rente énorme, essentielle à l’économie saoudienne qui sort graduellement de la pure extraction pétrolière à d’autres industries et aux services…. Pour moi, ce que l’auteur décrit justement c’est la lutte pour la répartition de cette rente : comment l’un ou l’autres des princes va démontrer, y compris à travers des actions négatives, qu’il en a le contrôle… et comment les fameux « brokers » sont la manière de divertir toute politique étatique, par définition partielle, car elle n’attaquera jamais la nature même du problème… qui est la propre nature rentière de l’exploitation des travailleurs étrangers… L’auteur met l’échec de la saudisation sur le dos de l’Etat pétrolier, mais la lutte pour ce genre de rente n’est pas propre aux états pétroliers… On la retrouve du Liban jusqu’aux Etats Unis et l’Europe, du moment qu’on permet de segmenter le marché du travail entre des nationaux ayant des droits et des non-nationaux ayant moins de droits, sinon aucun droit…

Plus que cela, cette description exclusive du problème de la saudisation masque aussi un des autres enjeux en économie politique. C’est que sur la période décrite le type de nationalités des travailleurs étrangers a changé. Les travailleurs en début de période étaient en grande partie des arabes, égyptiens ou autres, et en fin de période, originaires du sous continent indien : l’Inde, le Bangladesh, etc… Les travailleurs politisables, parlant la même langue, qui peuvent réclamer des droits sont remplacés par d’autres plus facilement exploitables, moins coûteux et donc dégageant plus de RENTE.

Se basant sur des théories empiriques très discutables que l’Etat rentier n’est pas obligé de faire des compromis avec les acteurs économiques, du fait de l’absence d’impôts, l’auteur ne tire pas suffisamment les conséquences des luttes qu’il décrit entre les acteurs économiques et le pouvoir princier (et leurs brokers alliés) sur justement la répartition de cette RENTE du TRAVAIL. Et de tels compromis se sont effectivement faits.

On peut faire le même raisonnement sur le deux autres exemples que travaille l’auteur. La loi sur les investissements étrangers par exemple: Où il suffit de voir la non correspondance entre l’explication qui est donnée des enjeux et la phrase choisie en ouverture du chapitre : Ibn Saud  « Mon royaume ne survivra que tant qu’il reste un pays d’accès difficile, où l’étranger n’a plus d’autre but quand il accomplit sa tâche, que de s’en aller ». Ici c’est de RENTE DE SITUATION qu’il s’agit.

Malgré cette critique, je ne pense pas que l’Etat saoudien est aussi fragmenté et inefficace que le livre puisse laisser l’entendre. Il s’est complexifié… comme pour tout Etat qui mérite son nom… Mais le vrai enjeu se situe ailleurs sur la relation entre cet Etat d’une part, et comment il peut fournir des services à la société saoudienne et à la population même étrangère, et le pouvoir de la famille royale d’une part, qui doit consolider sa légitimité.

 

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